Le souverain et le jeu du code financier
Cet article documente les jeux ambigus d’un État semi-périphérique avec les codes de la financiarisation. Sur la base d’archives inédites et d’entretiens avec des gestionnaires de dette, des banquiers et des avocats d’affaires, il éclaire un litige entre le royaume de Belgique et la banque d’affaires Merrill Lynch sous l’angle d’une sociologie du droit et de la finance attentive à la mobilisation des pratiques juridiques et financières « en action ». Au tournant de la décennie 1990, l’État belge s’érige à l’avant-garde de l’innovation financière sur sa dette. Embarqué dans une série de paris risqués sur la convergence monétaire européenne, il se présente comme un acteur commercial « comme un autre » et se plie initialement aux règles de la financiarisation, dont il tire profit. Mais lorsque les pertes s’accumulent, le Trésor réaffirme la singularité de ses prérogatives souveraines. Pour acculer sa contrepartie privée à un accord, il la menace d’aller au procès devant les juridictions domestiques (plutôt que new-yorkaises) et minimise stratégiquement son degré de sophistication en vue de souligner sa position de dépendance dans la maîtrise des techniques financières. Au terme de deux ans de négociation, Merrill Lynch verse à la Belgique une compensation. L’affaire est réduite à un « accident de parcours » et le blâme circonscrit autour d’un responsable administratif « leurré ». La financiarisation de l’État belge, loin d’être remise en question, en ressort consolidée et professionnalisée.