Une passion partagée, des identités ambiguës.
Reconnu tardivement par les sciences sociales comme objet d’étude, le football se révèle aujourd’hui être un thème de recherche riche en significations pour les études européennes. Il permet de susciter une analyse pertinente non seulement sur le plan des politiques publiques, en raison de l’intérêt accru que lui portent les institutions communautaires, mais aussi, en tant que pratique sociale largement partagée, sur le plan des liens affectifs et horizontaux entre Européens. Si les manifestations massives d’appartenance collective que déclenchent ses grandes compétitions semblent à première vue renvoyer vers une propension du football à donner expression à un nationalisme fermé, voire agressif, le comportement des individus qui forment les foules du football est plus ambigu et permet de formuler un certain nombre d’hypothèses de recherche. Le football peut ainsi être comparé à une « béquille identitaire » qui permet de rendre compréhensible et humainement pensable la dissociation très abstraite entre appartenance culturelle (nationalité) et allégeance politique (citoyenneté) réclamée par les tenants de la « constellation postnationale » (Habermas). Il permet aussi de vivre son appartenance nationale et le besoin social d’exprimer celle-ci sur un mode distancié, ironique. Il constitue, enfin, une illustration surprenante de la théorie de la « réflexivité postmoderne » (Giddens), dans la mesure où il permet aux acteurs sociaux de procéder à une révision permanente de leurs propres pratiques en s’appropriant et intériorisant de nouvelles connaissances sur ces mêmes pratiques produites par les sciences sociales. Le football, cette passion partagée par un très grand nombre d’individus, montre ce que la culture populaire au sens le plus large pourrait apporter à une meilleure connaissance des rapports affectifs entre Européens, ouvrant ainsi des pistes intéressantes pour la recherche.